Loin d'eux

Six personnages à la recherche d'un langage pour trouver un lien vers les autres.
Un espace indéfini, irréel - un jardin ?, un cimetière ? traversé par un champs de fleurs, frontière entre la vie et la mort, la réalité et les désirs, le présent et le passé, le langage et le silence.
Des projections de photos, comme une mémoire qui
reprendrait vie.
Et dans cet espace, six personnages déambulent, prisonniers dans leur propre solitude, à la recherche d'un langage pour trouver un lien vers les autres.

Les six membres d'une famille comme bien d'autres : le père Jean, ouvrier d'usine; la mère Marthe, mère au foyer; leur fils Luc. Près d'eux, un oncle, une tante et leur fille Céline. Tous, des gens résignés, qui acceptent la fatalité de la vie, qui courbent le dos, soumis, face aux mauvais coups du sort, face à la misère de leur vie.
Mais un jour Luc n'a pas supporté cette vie : les disputes, les reproches continuels de son père, I'inquiétude de sa mère qui ne comprend pas, le silence surtout, signe
d'une incompréhension insoutenable entre les générations. Luc d'abord, a fait semblant d'accepter, accepter ces valeurs qu'on voulait lui inculquer, le travail, le mérite, la morale du bien et du mal, le tabou de la sexualité... mais il n'a pas eu la force de supporter longtemps son mensonge...

Dire sa vérité
Loin d'Eux est un long monologue intérieur; chaque
personnage tour à tour plonge en lui-même pour dire sa vérité, ses sentiments, la part de sa vie où personne n'a accès parce que la parole est impossible, ces mots qu'on a envie de dire pour rompre les silences invisibles qui tuent.
Des monologues intérieurs, si proches dans leur douleur et dans les désirs qu'ils hurlent, qu'ils en deviennent des dialogues.

Mais malgré ce besoin vital de parler, de se dire qu'on s'aime, chacun reste silencieux, avec ses mots enfouis au plus profond de lui-même et le vide de plus en plus grand qui s'installe à jamais, le vide douloureux du silence et de la solitude.
L'absence de communication qui se transmet de père en fils, comme un héritage venimeux dont personne ne veut mais que chacun porte en soi. Les mots que I'on a jamais dits, et que I'on osera jamais, cette douleur sans nom que I'on transporte avec soi. On se repasse ça de père en fils, comme si de génération en génération tout ce que les anciens n'avaient pas pu dire c'était les jeunes à leur tour qui le prenaient en eux.

Loin d'Eux est le portrait d'une famille comme bien
des autres, une famille ou chacun s'enferme dans son rôle (de père, de fils, de mère...) interdisant ainsi I'accès à I'individu qu'il cache profond en lui.
Fabian Chappuis

L'obsession, de ce qui veut se dire
Lorsque j'ai lu le projet de Fabian Chappuis - et lorsque par la suite je I'ai rencontré - j'ai été frappé par deux choses, deux motifs qui sont devenus deux raisons de soutien.
D'abord, la singularité de son projet, l'écart par rapport au texte - cette façon de se réapproprier un texte à I'origine conçu pour le papier et non pour la scène - et cet écart qui n'est pas trahison mais interprétation, qui signifie son autonomie et pareillement son respect, qui est le signe de toute création. 

Et puis ce désir, palpable il me semble à la lecture du projet, discernable dans la voix et dans les gestes de Fabian lorsqu'il évoque le processus de son travail, les difficultés, I'obsession, de ce qui veut se dire. Il y a du nécessaire là-dessous et cela déjà mérite tous les soutiens. Le désir vrai peut rendre possible, parce que c'est le moteur de tout artiste et que, s'il est vrai que rien n'est possible sans, il est vrai aussi que tout le devient avec. 

Et pour ma part, je crois que Fabian est suffisamment riche de ce désir pour ne pas décevoir, que sa lecture de Loin d'Eux est une lecture rare, nourrie de l'énergie et de I'intelligence que seul possède celui qui croit que sa vision à lui, de toute urgence, il faut qu'il la donne à tous. 

Laurent Mauvignier

Loin d'Eux est le premier roman de Laurent Mauvignier, édité en 1999 aux Éditions de Minuit.